Les assurances sociales à l’épreuve du coronavirus

Les assurances sociales à l’épreuve du coronavirus

La crise du coronavirus a été le déclencheur de toute une série de remises en cause, y compris en matière d’assurances sociales. Depuis le début de la pandémie, avec l’instauration généralisée du chômage technique, y compris pour les travailleurs sous contrat de durée déterminée, les apprentis et même les dirigeants, et l’aide, ô combien nécessaire mais inédite, octroyée aux indépendants, on a entendu plein de critiques et vu ressurgir toutes sortes de propositions demandant à revoir, étendre ou même complètement repenser notre système social. D’aucuns n’ont pas manqué de dénoncer ce qu’ils appelaient les incohérences d’un système où, avec un « patchwork » de catégories et de seuils difficilement compréhensibles, plus personne ne s’y retrouvait réellement, ce qui créait une situation chaotique et choquante.

Cela comporte une part de vérité : il est vrai qu’on a connu, durant cette période, plusieurs cas de figure indemnisés de manière différente : salariés bénéficiant de la réduction de l’horaire de travail et payés à 80%, dirigeants cotisants de SA ou Sàrl ne touchant qu’un forfait, APG pour indépendants, indemnisation des cas de rigueur, etc. Mais faut-il pour autant crier à l’injustice et vouer aux gémonies l’ensemble du système social suisse ? N’oublions pas qu’on a dû faire face à une situation tout à fait exceptionnelle, qui n’arrive grosso modo qu’une fois par siècle. En l’occurrence, il a fallu trouver des solutions dans l’urgence, un peu au coup par coup. Au bout du compte, même si les dégâts sont lourds, une grande partie des acteurs économiques ont pu être aidés. Notre système social n’a pas failli et, en prenant un peu de recul, même si des améliorations ponctuelles peuvent toujours bien sûr être envisagées, on doit affirmer qu’une remise en question totale est infondée. N’en déplaise à ceux qui ressuscitent des notions qu’on croyait oubliées, telles que le revenu de base inconditionnel ou, dans une acception plus actuelle, l’assurance générale de revenus. Reprenons point par point !

La RHT et les travailleurs ordinaires

La législation suisse sur le chômage offre une prestation originale qu’on appelle l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT). On entend par RHT une réduction temporaire de l’horaire normal de travail par suite de manque de travail dû à des facteurs d’ordre économique inévitables. L’indemnité versée aux travailleurs pour une durée maximale de douze mois s’élève à 80% de la perte de gain prise en considération. Il s’agit là d’un instrument extrêmement précieux, qui a parfaitement fonctionné durant la crise que nous venons de traverser et auquel il ne faut pas toucher. L’objectif recherché est le maintien des emplois. L’employeur dispose ainsi d’une solution de rechange aux licenciements et cela lui évite des coûts dus aux fluctuations de personnel (frais de formation, perte du savoir-faire propre à l’entreprise). Quant aux travailleurs, ils ont l’avantage de ne pas se retrouver au chômage et de conserver la protection sociale liée au contrat de travail. C’est donc du gagnant-gagnant.

La RHT et les dirigeants d’entreprise

Si, durant la crise, le système a été, à juste titre, quelque peu aménagé et étendu, en temps normal, la loi fédérale sur l’assurance-chômage exclut de la RHT les personnes qui fixent les décisions que prend l’employeur – ou peuvent les influencer considérablement – en qualité d’associé, de membre d’un organe dirigeant de l’entreprise ou encore de détenteur d’une participation financière à l’entreprise ainsi que leurs conjoints occupés dans l’entreprise. A noter qu’il n’existe pas de disposition identique concernant l’indemnité ordinaire de chômage, mais le Tribunal fédéral a en plusieurs occasions affirmé qu’il y avait une similitude évidente entre les deux situations et qu’une application par analogie s’imposait.

On peut légitimement se poser la question de savoir pourquoi ces personnes n’ont en principe pas droit ni à la RHT ni à l’allocation ordinaire de chômage alors qu’elles cotisent à l’assurance. En fait ce mécanisme a été voulu par le législateur afin de contrer les abus. Ces personnes ont une position qui fait qu’elles influencent les décisions de l’employeur et pourraient décréter elles-mêmes leur arrêt de travail. En règle générale, si elles veulent vraiment sauver l’entreprise, elles doivent tout mettre en oeuvre pour générer du chiffre d’affaires. Aucune indemnité de chômage ne saurait leur être versée parce qu’il n’y a généralement pas d’arrêt de travail en ce qui les concerne ou alors il ne pourrait pas être contrôlé. Ce n’est que lorsque ces personnes perdent leur position de personnes assimilées à un employeur (par exemple en cas fermeture, faillite ou vente de l’entreprise) qu’elles retrouvent leur droit à l’indemnité ordinaire de chômage.

Certaines voix se sont fait entendre durant la crise pour qu’on étende à l’avenir, même hors pandémie, l’indemnisation chômage à cette catégorie d’assurés ou alors qu’on renonce au prélèvement des cotisations auprès de ces personnes, puisque, bien souvent, elles ne perçoivent pas de prestations. Nous ne saurions souscrire à de telles propositions. La finalité de cette législation, compte tenu des cas d’abus qui ont été constatés, est à nos yeux justifiée. Quant à renoncer au prélèvement de cotisations, cela signifierait que ces personnes se retrouveraient, en cas d’abandon de leur position assimilée à un employeur, privées de toute indemnisation et donc dans une position plus défavorable qu’aujourd’hui.

Les indépendants

La question est un peu plus délicate. Certains indépendants ont été frappés de plein fouet par la crise et la précarité de certaines situations incite à réclamer davantage de protection sociale pour eux, voire l’abolition pure et simple du statut d’indépendant. Grossièrement résumé, l’indépendant supporte le risque de l’entreprise et n’est pas, face à ses mandants, dans un rapport de subordination, comme l’est le salarié à l’égard de son employeur. C’est un choix de vie, mais l’enjeu est important puisque la couverture sociale, et donc aussi les primes versées, ne sont pas identiques. Une modification s’impose-t-elle ? Est-elle majoritairement souhaitée par les personnes concernées ? Commençons par dire que la question n’a pas attendu le virus pour être discutée. Elle fait l’objet de plusieurs interventions parlementaires suite à l’apparition des « travailleurs de plate-forme » (Uber, Deliveroo, Eat.ch), dont le statut est souvent flou et discutable. Dans ce cadre-là, trois options au moins ont été envisagées : abolir la distinction, laisser le libre choix du statut ou créer un statut particulier pour les travailleurs de plate-forme. Le libre choix n’est guère réaliste et pourrait fausser la concurrence. Quant à l’abolition du statut, cela signifierait que les indépendants jouiraient de la même protection sociale que les salariés mais aussi, par voie de conséquence, qu’ils devraient cotiser tout autant si l’on veut assurer le financement d’un tel système. Hors crise du coronavirus, les indépendants seraient-ils d’accord de voir une partie non négligeable de leur chiffre d’affaires amputé par les assurances sociales ? Rien n’est moins sûr et les résistances seraient nombreuses. On l’a bien vu d’ailleurs lors de l’introduction des allocations familiales pour les indépendants.

Mais on peut toutefois envisager quelques améliorations. Il serait assurément souhaitable d’aménager le statut des travailleurs de plate-forme, dont on sait que certains sont dans une situation parfois précaire. Une autre proposition, faite d’ailleurs par le Centre Patronal dans le cadre de son modèle de réforme de la prévoyance-vieillesse, serait de prévoir l’affiliation obligatoire des indépendants au moins à la prévoyance professionnelle. Sans être au même niveau que les salariés, mais sans être non plus écrasés par les primes d’assurance, ils verraient leur situation sensiblement améliorée, ce qui serait susceptible d’empêcher, dans bien des cas, des transferts de charges vers d’autres régimes sociaux.