- Energie & environnement - Patrick Eperon
Un risque accru de blackout, puis de pénurie d’électricité
L’abandon de l’accord institutionnel avec l’Union européenne (UE) et le rejet de la loi CO2 révèlent l’échec d’une politique énergétique. Sans mesures fortes pour renforcer son réseau électrique et augmenter sa production de courant, notre pays connaîtra une panne majeure, puis une pénurie d’électricité d’ici 2030.
Le double risque pour la Suisse de connaître d’abord un blackout, à savoir une panne d’électricité majeure, puis une pénurie d’électricité dans moins de dix ans, figure désormais à la une des médias. Ce thème s’impose quelques mois après l’abandon de l’accord-cadre avec l’UE, puis le rejet de la révision totale de la loi sur le CO2. Ces deux décisions politiques majeures ont en effet révélé l’échec de la politique énergétique suisse fondée sur la sortie progressive du nucléaire et couplée à une politique climatique visant une sortie trop coûteuse des énergies fossiles, refusée désormais
en votation populaire.
De fait, notre politique énergétique s’est traduite principalement par trois mesures peu courageuses depuis la catastrophe nucléaire de Fukushima, au Japon, en 2011. Premièrement, par des importations de courant – souvent d’origine nucléaire ou fossile – de plus en plus massives depuis nos pays voisins. Deuxièmement, par le subventionnement de la pose de panneaux solaires photovoltaïques, produits très largement à l’étranger. Et, troisièmement, par un appel à la réduction de notre consommation d’électricité, alors que notre pays comptera bientôt dix millions d’habitants et que nous consommerons 40% de courant en plus d’ici 2050.
Le tout enrobé d’un discours taisant – jusqu’au rejet de la loi CO2 – le problème de la sécurité d’approvisionnement en énergie, mais culpabilisant les citoyens suisses au nom d’une politique climatique «modèle», dont ni la Chine ni l’Inde ni la Russie ne veulent, comme le démontre la récente COP26.
Deux fausses excuses de nos autorités
A l’évidence, il serait plus facile pour nos autorités de pouvoir compter encore davantage sur des importations de courant, d’où les lamentations de beaucoup quant à l’abandon de l’accord-cadre avec l’UE, abandon qui rend très incertaine la conclusion d’un accord relatif aux échanges d’électricité entre la Suisse et l’UE. Mais c’est oublier l’essentiel, à savoir qu’un accord avec l’UE sur l’électricité ne protégerait pas suffisamment notre pays d’une pénurie, pour la simple et bonne raison qu’il faudrait que nos voisins puissent nous vendre leurs surplus de courant. Or le problème de l’approvisionnement en électricité pendant l’hiver concerne toute l’Europe, à commencer par l’Allemagne et la France.
Rappelons en effet que l’Allemagne, qui sera dirigée selon toute vraisemblance par une coalition majoritairement rose-verte, veut arrêter ses centrales nucléaires, ainsi que ses centrales à charbon, grosses productrices de CO2, mais aussi d’électricité. Quant à la France, son héritage nucléaire vieillissant ne permettra plus d’approvisionner en courant, en hiver, un pays comme le nôtre et ce même si les autorités françaises étudient la construction de nouvelles (petites) centrales nucléaires.
Reste alors à invoquer un retard de la Suisse en matière de production d’électricité au moyen d’énergies renouvelables. Premièrement, en passant largement sous silence que la Suisse produit – grâce à ses barrages – davantage de courant avec des sources renouvelables que tous ses voisins, à l’exception de l’Autriche, qui importe en revanche pas moins de 12% de l’électricité qu’elle consomme… Et, deuxièmement, en taisant que nos voisins allemands produisent moins de 9% de leur électricité au moyen de panneaux photovoltaïques désormais largement chinois ou sud-coréens, après plus de vingt ans de subventions massives; 9% de production électrique à comparer aux près de 24% produits au moyen d’éoliennes, situées au nord du pays, notamment le long de la Mer du Nord et de la Mer Baltique, voire en pleine mer. 9% à comparer surtout aux 40% produits au moyen de centrales à charbon et de centrales à gaz, qui peuvent quant à elles produire à pleine capacité, en hiver comme en été, ce qui n’est pas le cas des panneaux photovoltaïques.
De multiples avertissements
A la suite de plusieurs mises en garde de la Commission fédérale de l’électricité (ElCom), par rapport à une pénurie d’électricité en Suisse pendant la saison hivernale, le Département fédéral de l’énergie (DETEC) a remis au Conseil fédéral, mi-octobre dernier, deux rapports sur le thème de la sécurité de l’approvisionnement en électricité.
Le premier rapport, élaboré conjointement par l’ElCom et Swissgrid, la société nationale de transport d’électricité, présente des mesures permettant d’améliorer la sécurité du réseau électrique suisse, à commencer par le remplacement anticipé de transformateurs de couplage entre les niveaux de réseau à très haute tension, puis le relèvement par endroits de la tension dans le réseau de transport, afin d’augmenter les capacités des lignes électriques.
Le deuxième rapport aborde les problèmes susceptibles de surgir à partir de 2025, compte tenu de l’absence d’accord sur l’électricité avec l’UE et de nouvelles règles en vigueur dans le cadre juridique européen, règles selon lesquelles tous les gestionnaires de réseau de transport d’électricité doivent, à partir de 2025, réserver au moins 70% des capacités transfrontalières du réseau pour les échanges d’électricité entre Etats membres de l’UE.
Depuis lors, le président de la Confédération, M. Guy Parmelin, a appelé les entreprises, qui dépendent toutes d’un approvisionnement sûr en énergie, à se préparer à de possibles pénuries d’électricité, en faisant référence à une brochure de l’Organisation pour l’approvisionnement en électricité en cas de crise (OSTRAL). Ce faisant, le président a mis un terme à la loi du silence et aux contes de fées dispensés en la matière par les deux conseillères fédérales successivement en charge de l’énergie ces dix dernières années, ce qui fait que plus personne ne peut maintenant reporter l’adoption de mesures fortes pour augmenter la production d’électricité en Suisse.