- Relations extérieures - Jimmy Dupuis
Investissements étrangers : un avant-projet qui va trop loin
A l’heure actuelle, de plus en plus de reprises d’entreprises helvétiques sont pilotées par des fonds publics, principalement des investisseurs chinois et des fonds souverains étrangers. L’accélération des investissements provenant d’acteurs proches de certains Etats est de nature à générer des inquiétudes, à plus forte raison lorsque des entreprises suisses emblématiques – Syngenta, Swissport, Gate Gourmet, Eterna ou encore Sigg – sont ciblées et que les investissements en question consistent en des investissements directs internationaux.
En adoptant la motion 18.3021 Rieder (« Protéger l’économie suisse en contrôlant les investissements »), le Parlement a chargé le Conseil fédéral de créer les bases légales en vue d’un mécanisme de contrôle des investissements étrangers. Les Chambres fédérales jugent nécessaire de se prémunir contre les Etats utilisant les investissements directs pour atteindre des objectifs politiques. A cet égard, le but serait d’introduire, pour certains cas exceptionnels, un frein d’urgence visant essentiellement les investisseurs étrangers cherchant à acquérir des entreprises suisses actives dans des secteurs stratégiques, ceci pour exercer une influence politique. Récemment, le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) a donc ouvert une consultation sur un avant-projet de loi fédérale sur l’examen des investissements étrangers.
Afin de préserver l’attrait de notre pays pour les investisseurs, le Conseil fédéral souhaite un processus ciblé, efficace et peu bureaucratique. Le régime d’examen des investissements proposé a pour but d’éviter que des acquisitions d’entreprises suisses par des investisseurs étrangers ne viennent compromettre l’ordre ou la sécurité publics. A ce titre, l’avant-projet part de l’idée que les principales menaces émanent essentiellement d’investisseurs proches d’un État. Par conséquent, il prévoit que toute acquisition par des investisseurs étrangers étatiques ou proches d’un État devra être soumise à approbation, quelle que soit la branche. L’avant-projet de loi définit en outre les domaines particulièrement critiques dans lesquels toute acquisition d’entreprise suisse par des investisseurs étrangers, qu’ils soient étatiques ou privés, sera soumise à approbation. Il fixe toutefois un seuil de chiffre d’affaires, si bien que les petites entreprises seront en général exemptées de la réglementation.
En pratique, le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) sera chargé de mettre en œuvre l’examen des investissements et d’assurer la coordination avec les diverses unités administratives concernées. L’avant-projet de loi prévoit une procédure d’approbation en deux étapes. Le SECO décidera, dans un délai d’un mois, si l’acquisition peut être approuvée directement ou si une procédure d’examen, d’une durée maximale de trois mois, doit être ouverte. La décision d’ouvrir ou non une procédure d’examen sera prise par consensus entre les unités administratives participant à la procédure. Si ces dernières sont d’avis qu’une acquisition doit être interdite ou qu’elles ne parviennent pas à se mettre d’accord à l’issue d’une procédure d’examen, il appartiendra au Conseil fédéral de trancher.
S’agissant des critères d’approbation, les acquisitions visées par la loi sont approuvées s’il n’y a pas lieu de penser qu’elles compromettent ou menacent l’ordre ou la sécurité publics. Le risque que représente une acquisition pour l’ordre et la sécurité publics est compris comme le produit de la probabilité de survenance et de l’ampleur potentielle des dommages. Il est à noter qu’il conviendra de déterminer si l’investisseur étranger – en l’occurrence son administration et sa direction – et son propriétaire ultime jouissent d’une bonne réputation et présentent toutes les garanties d’une activité irréprochable.
Conformément aux souhaits du Parlement, l’avant-projet postule que les principales menaces émanent d’investisseurs étatiques ou proches d’un Etat. A ce titre, on aurait légitimement pu s’attendre à ce que la proposition se cantonne à instaurer un contrôle des acquisitions par des investisseurs étrangers étatiques ou proches d’un Etat, ceci uniquement dans certains secteurs stratégiques. Or, l’avant-projet soumet à l’examen l’ensemble des acquisitions par des investisseurs étrangers étatiques ou proches d’un Etat ainsi que les acquisitions émanant d’investisseurs privés dans les secteurs critiques. Lorsqu’on sait que la notion d’investisseurs proches d’un Etat est relativement large et qu’il sera question dans la procédure d’approbation de déterminer si l’investisseur étranger jouit d’une bonne réputation, on ne peut que s’élever contre le champ d’application de la loi sur l’examen des investissements étrangers. Une telle réglementation ne devrait d’une part pas inclure les investisseurs privés et d’autre part se limiter aux investissements étatiques au sein des domaines stratégiques.
Au vu de ce qui précède, force est de convenir que l’avant-projet de loi sur l’examen des investissements étrangers va trop loin. Un régime de contrôle des investissements réellement ciblé devrait se focaliser uniquement sur les investissements étatiques à visée politique dans les secteurs sensibles. L’examen des investissements ne doit en effet pas outrepasser son rôle de frein d’urgence pour les situations exceptionnelles.