- Politique économique - Gauthier Dorthe
Les Etats-Unis, Taiwan et l’économie digitale mondiale
Mercredi 27 et jeudi 28 juillet 2022 aux Etats-Unis, le Sénat et la Chambre des représentants ont voté à l’unisson en faveur du « Chips and Science Act of 2022 ». Cette législation vise à subventionner le développement de l’industrie américaine des puces électroniques à hauteur de 52,7 milliards de dollars, montant allant jusqu’à comprendre l’instauration de formations continues pour les travailleurs de ces secteurs. Les entreprises actives dans l’industrie des semi-conducteurs recevront, via la même législation, jusqu’à 24 milliards de dollars supplémentaires. Finalement, 1,5 milliards de dollars sont prévus pour les entreprises actives dans la radiocommunication.
L’objectif des USA est clair : assurer son indépendance technologique et économique vis-à-vis de ses partenaires étrangers. En prenant un peu de recul historique, les Etats-Unis produisaient en 1990 37% des puces électroniques mondiales pour n’en plus produire aujourd’hui que 12%. Entre-temps, c’est la Corée du Sud et Taiwan qui ont pris la main sur le marché ; le plus gros producteur mondial étant l’entreprise Taiwan Semiconductor Manufacturing (TSMC), designer de puces pour les fabricants d’ordinateurs et de téléphones portables.
Le timing du Congrès américain n’aurait pas pu être meilleur. Quelques jours après l’adoption de cette législation, la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi atterrissait à Taiwan, soulignant la reconnaissance implicite de l’île asiatique comme Etat indépendant par les Etats-Unis. Le problème ? L’indépendance de Taiwan est un casus belli clair pour le Parti Communiste Chinois qui revendique l’île comme faisant partie de son territoire. Le 4 août 2022, une opération chinoise d’exercice militaire débute autour de Taiwan pour simuler un blocus de l’île et des missiles y volent à moins de 20km. L’exercice est supposé durer plusieurs jours. Plusieurs jours durant lesquels tout export devient impossible pour Taiwan.
Un conflit militaire entre la Chine et Taiwan verrait l’ensemble de l’économie mondiale directement perturbée. Sans puces électroniques et semi-conducteurs, pas de digital, pas de téléphones portables, pas d’ordinateurs, de voitures électriques, de réseau 5G, etc. Taiwan étant inscrit au cœur de la chaîne économique mondiale, son exclusion même temporaire irait jusqu’à perturber durablement l’ensemble de nos industries, chez nous, en Suisse.
Ainsi, il est au moins à cet égard sensé d’espérer que le conflit ne s’envenime pas ou le moins possible, sans parler de l’horreur qu’un tel événement représenterait pour la population locale. Parce que les tensions se font sentir dans cette région de l’Asie, il est à noter que l’Inde, le Japon et la Corée du Sud mènent également depuis quelques temps des politiques publiques visant à favoriser et inciter le développement de puces électroniques en leur sein. L’Union Européenne travaille par ailleurs actuellement sur son « Chips Act » pour subventionner son industrie entre 30 et 50 milliards d’euros.
En conclusion, la Realpolitik, lorsqu’elle se traduit en instabilité militaire, a aujourd’hui des répercussions aux quatre coins du monde jusque dans la qualité de vie des citoyens suisses. Comme nombre d’autres enjeux du 21ème siècle, la paix est dans le plus pur intérêt de l’économie mondiale. Alors que Montesquieu nous expliquait au 18ème siècle que les échanges commerciaux entre pays favorisaient la bonne entente politique, l’inverse semble aujourd’hui d’une véracité notoire.