- Actualités Vaudoises - Olivier Rau
Quand les millions s’évaporent par dizaines
En matière de santé, un récent audit de la Cour des comptes confirme les graves lacunes du pilotage et de la gestion des prestations d’intérêt général (PIG) des hôpitaux publics. Il incombe au monde politique de réduire enfin l’opacité qui entoure les PIG et leur financement, ainsi que de corriger les nombreux dysfonctionnements relevés.
Inégalité de traitement
En 2012, de nouvelles règles de financement hospitalier ont été mises en place en Suisse, avec en particulier l’instauration de forfaits par cas (SwissDRG). Depuis lors, les hôpitaux sont financés à l’acte médical, à hauteur de 55% par les cantons et de 45% par les assureurs. Si les établissements privés se contentent de ces forfaits, il n’en va pas de même des structures intégralement ou essentiellement en mains publiques, qui bénéficient d’autres sources de financement. Les cantons sont en effet autorisés à soutenir financièrement les hôpitaux au-delà des forfaits, par le biais en particulier de ce que l’on appelle les prestations d’intérêt général (PIG). Ces prestations comprennent notamment la recherche et la formation universitaire, les éventuels surcoûts liés au maintien de capacités hospitalières pour des raisons de politique régionale, le service de sauvetage et la centrale d’appels 144, ou encore les contributions cantonales en raison d’une garantie de déficit.
Ajoutées aux contributions ordinaires des cantons à la rémunération forfaitaire SwissDRG, les subventions, concentrées sur les hôpitaux publics, peuvent grever lourdement les budgets cantonaux. Depuis plusieurs années, sur la base des résultats d’une étude publiée annuellement par l’Université de Bâle, la question des allocations de PIG et la répartition entre recherche et formation universitaire, couverture de déficits et autres raisons de politique régionale suscite à juste titre l’intérêt d’une partie du monde politique et plusieurs interventions ont été déposées au fil du temps au Grand Conseil.
«150 millions de francs sont attribués chaque année par l’Etat sans justification !.»
Un audit implacable
La Cour des comptes s’est elle aussi saisie de cette problématique et a rendu récemment un rapport qui fait grand bruit. Il en ressort que dans notre canton, sur environ un milliard de francs accordé chaque année aux hôpitaux reconnus d’intérêt public, près de la moitié concerne les PIG. Un quart de ce montant est versé par l’Université de Lausanne (UNIL) pour la recherche et la formation (enveloppe académique de 120 millions presque exclusivement au CHUV). La plupart des autres PIG (370 millions) sont octroyés par la Direction générale de la santé (DGS), principalement au CHUV (280 millions), mais aussi à 12 hôpitaux régionaux (90 millions au total). La Cour relève qu’une large partie du financement alloué aux PIG «découle encore aujourd’hui de montants historiques, souvent reportés d’année en année, avec peu d’objectifs fixés et sans contrôle suffisant sur les résultats obtenus»…
Pire même, aucune convention n’a été signée entre UNIL et CHUV et «l’affectation précise des 120 millions versés au CHUV est majoritairement inconnue». La Cour regrette aussi le flou juridique autour de la notion de PIG. Elle relève un travail important d’explicitation des PIG mené par la DGS et les hôpitaux, même si «quelque 40% du financement alloué aux PIG (150 millions, dont 130 millions au CHUV) étaient encore octroyés en 2022 sans affectation connue» !
Vous avez bien lu, 150 millions de francs sont attribués chaque année par l’Etat sans justification ! Contre toute attente, cette révélation effarante n’a pas véritablement suscité d’intérêt médiatique, alors même que la Cour des comptes regrette dans son communiqué le manque de collaboration de la DGS, qui n’a pas fait preuve d’un «esprit transparent et constructif». Une interpellation a, en revanche, heureusement immédiatement été déposée au Grand Conseil.
Bien des choses à corriger
Il s’agit maintenant de faire en sorte que les nombreux dysfonctionnements mis en lumière par la Cour des comptes soient corrigés. Cela passe en particulier par la dissipation du flou juridique et donc la définition précise et univoque de ce que sont les PIG, afin de garantir l’équité et éviter les interprétations extensives. Il s’agit aussi de formaliser suffisamment les règles de financement. Le lien entre les PIG et la stratégie cantonale doit être suffisamment établi et régulièrement réévalué. Il faut mieux définir les prestations attendues des hôpitaux, renforcer le suivi et cadrer plus strictement les PIG de soutien financier. En bref, il s’agit, dans l’intérêt général, de rétablir la transparence et l’équité dans la gestion des PIG.
De temps en temps au Grand Conseil, c’est l’heure des questions. A cette occasion, les députés ont la possibilité d’interroger le gouvernement. Tout récemment, sans lien bien sûr avec la campagne qui faisait encore rage début octobre, un député profite d’aborder une question de politique fédérale : les chambres traitent d’une initiative qui vise à plafonner à 10% du revenu le coût des primes d’assurances maladie. Dans ce cadre, la mise en place d’un système fédéral analogue au vaudois permettrait quelques économies au Canton.
Rappelons que les subsides vaudois à l’assurance-maladie représentent un coût qui s’approche d’un milliard de francs par année pour le contribuable et n’encouragent ni le retour à une activité lucrative, ni l’augmentation de taux d’activité.
Une partie des parlementaires fédéraux vaudois a refusé d’infliger au reste de la Suisse une telle idée. Ils ont bien fait. Cela a déplu à l’auteur de la question qui en conclut que les «représentant-e-s de la droite vaudoise ont voté contre les intérêts du Canton de Vaud». Une des forces du fédéralisme est de permettre aux cantons d’essayer des projets puis d’exporter les bonnes idées. Pas les mauvaises.