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Comptes de l’Etat de Vaud: une situation moins inquiétante qu’il n’y parait (sauf s’agissant des dépenses)

Jean-Blaise Roggen
Rédacteur

L’Etat de Vaud vient de rendre public le rapport complet sur ses comptes 2023. A la fois alarmiste et rassurant, il évoquait en mars dernier, lors d’une présentation initiale, une situation «sérieuse mais maîtrisée». Au-delà de l’explosion des charges et de l’excellente tenue des recettes, un rapide coup d’oeil sur le compte de résultat et sur le bilan a des vertus réconfortantes.

Plantons d’abord le décor comptable

En l’absence de règles d’harmonisation comptable au niveau fédéral pour la tenue et la présentation des comptes publics, la Conférence des Directeurs cantonaux des finances (CDF) a établi des modèles comptables harmonisés (MCH). En parallèle à ces MCH (dernier en date le MCH 2), certains cantons comme Bâle, Genève ou Zurich ont décidé d’aller plus loin et d’introduire les normes IPSAS (International Public Sector Accounting Standards) dans leur comptabilité publique. La différence principale entre les deux référentiels comptables se situe au niveau de la latitude laissée aux acteurs publics d’ajuster leurs comptes en fonction d’objectifs politiques ; quand les normes IPSAS sont très strictes sur la sincérité et la fidélité des comptes à la réalité économique, le MCH 2 octroie bon nombre de libertés comme celles, notamment, de recourir à des préfinancements, à des limites d’activation au bilan élevées ou à des politiques d’amortissements et de garantie moins restrictives. Le MCH 2 et son interprétation libre ont séduit le Canton de Vaud qui applique cette norme depuis un certain temps déjà.

«Notre canton réussit la gageure d’augmenter ses investissements totaux de 33% par rapport aux comptes 2022 (de 546 millions à 816 millions, médiane de 581 millions sur 5 ans), le tout sans s’endetter.»

Une communication sélective et quelque peu orientée

Si l’on revient à la présentation des comptes en mars dernier, certaines mentions laissent perplexes, à l’image de la suivante : «Les ressources apparaissent toujours plus dépendantes de revenus non pérennes, à l’instar de l’absence de contribution de la BNS en 2023.» Rapportée à la hausse des recettes fiscales de 3,5% par rapport aux comptes 2022, on peine à déceler une quelconque relation de dépendance à notre banque centrale et à ses dividendes aléatoires. Quant à l’«effet de ciseaux» dont le canton affirme souffrir, on rappellera que la définition comptable du concept implique une hausse des charges (avérée : +4,7% par rapport aux comptes 2022) concomitante à une baisse des produits. Force est de constater qu’on cherche assez vainement la deuxième lame de l’outil… Le fait de présenter les dépenses liées aux crises ukrainienne et énergétique comme opérationnelles et non extraordinaires surprend également quand beaucoup de collectivités publiques ont fait le choix inverse. Un univers financier où les dépenses de crise obtiennent un statut ordinaire et récurrent fait, en tous les cas, froid dans le dos.

Enfin, il est des silences qui interrogent et on aurait apprécié que le Conseil d’Etat explique les raisons exactes de la baisse de près de 90% (de 420 millions en 2022 à 43,5 millions en 2023, médiane de 293,3 millions sur 5 ans) des revenus de patentes et concessions en 2023. Cette diminution drastique valait largement, au même titre que d’autres positions, un coup de projecteur.

Des signes évidents de bonne santé

Après la communication qui interpelle et les constats qui interrogent, place au bilan et à sa solidité marmoréenne. Notre canton réussit la gageure d’augmenter ses investissements totaux de 33% par rapport aux comptes 2022 (de 546 millions à 816 millions, médiane de 581 millions sur 5 ans), le tout sans s’endetter selon ses propres dires : «Cette stabilité (N.B. de la dette) s’explique par des liquidités suffisantes pour ne pas recourir à l’emprunt.» Cette hausse massive des investissements est donc totalement autofinancée par le canton.

Et effectivement, quel monceau de liquidités à son bilan : près de 4,673 milliards de disponibilités (comptes bancaires ou postaux) et placements à court terme, en hausse de 120,5 millions par rapport à 2022 ! En d’autres termes et malgré son effort d’investissements sans précédent, le canton parvient à augmenter encore sa trésorerie. L’éclatante santé des fonds propres est l’exact reflet de cette situation florissante puisqu’ils atteignent 4,883 milliards dont 2,491 milliards d’excédents au bilan et le reste en réserves diverses (dont des préfinancements à hauteur de 1,249
milliard).

La dette, elle, ne bouge pas d’un iota d’une année sur l’autre, à 700 millions. Au vu de ce colossal montant de fonds propres et de liquidités, comment ne pas être dubitatif à la lecture de la phrase suivante : «Le Conseil d’Etat constate toutefois que la capacité à assurer le financement des prestations existantes s’affaiblit.» Si de tels comptes trahissent de la faiblesse, on se demande bien où peut se cacher la force !

Et une autre question se pose en filigrane : à qui appartiennent réellement ces réserves imposantes accumulées au fil des ans ? Sans doute à ceux qui en sont leur source principale : les contribuables vaudois.




Jean-Blaise Roggen,
Responsable politique Finances et fiscalité

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