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Baisse des tarifs des transports publics: une aide sociale coûteuse au très faible impact environnemental

Cenni Najy
Rédacteur

La baisse des tarifs des transports publics est en vogue dans le monde politique. Après Genève qui souhaite instaurer la gratuité pour certaines catégories de la population, voilà que notre canton entend offrir des facilités tarifaires à de nombreux usagers, au nom de l’écologie et du pouvoir d’achat. Cette mesure sera-t-elle réellement efficace? Il est permis d’en douter.

Depuis plusieurs années, on constate que les prix des transports publics (TP) prennent l’ascenseur dans de nombreuses communautés tarifaires suisses. Outre l’adaptation au coût de la vie, la raison principale de ces hausses réside dans le fait qu’il faut pouvoir financer l’amélioration continuelle des prestations exigées par les autorités et par les consommateurs. Or, ces améliorations sont particulièrement coûteuses, ce qui met les opérateurs sous pression.

Les communautés tarifaires suisses ont toutefois une marge de manoeuvre. Elles peuvent limiter la hausse des prix réclamée par les opérateurs, à condition que les pouvoirs publics augmentent leurs subventions. Cette «solution» a été fréquemment employée ces dernières décennies, mais elle n’est pas sans conséquence. Aujourd’hui, le prix payé par les usagers couvre moins de la moitié des coûts, le reste étant subventionné par les contribuables. Cette situation pèse sur des finances publiques dans un contexte général d’emballement des dépenses.

Au niveau vaudois, un simple tour d’horizon comparatif dresse un constat clair. La communauté tarifaire vaudoise Mobilis propose des prix dans la moyenne de ceux observables en Suisse. Mobilis est aussi particulièrement compétitif concernant la diversité des produits proposés, adaptés à toutes les situations (ex. «FlexiAbo»). La nécessité de rectifier les prix ne paraît donc pas évidente.

Les baisses proposées par le Conseil d’Etat et son argumentaire

Les propositions de baisses tarifaires publiées par le Conseil d’Etat le 20 août 2024 concernent l’abonnement annuel Mobilis deux zones qui devrait diminuer de CHF 248 pour les 6-25 ans et de CHF 320 pour les plus de 65 ans. A ce stade, le Conseil d’Etat ne fixe aucune condition de revenus. Le coût de cette mesure arrosoir avoisinerait CHF 30 millions par an. A titre comparatif, cette somme correspond au budget cantonal alloué à l’entretien des routes. C’est donc à grand frais que l’exécutif entend améliorer une situation qui est pourtant déjà avantageuse pour les usagers.

Le Conseil d’Etat estime que ces mesures sont certes coûteuses mais qu’elles n’en sont pas moins nécessaires pour soutenir le pouvoir d’achat et, surtout, pour faciliter le report modal des transports individuels motorisés (TIM) vers les TP. Pour rappel, ce report est préconisé par le plan climat vaudois car la mobilité est actuellement le deuxième poste des émissions de CO2 vaudoises (environ 35% du total des émissions territoriales).

«Le coût de cette mesure arrosoir avoisinerait CHF 30 millions par an. A titre comparatif, cette somme correspond au budget cantonal alloué à l’entretien des routes.»

Analyse

L’idée selon laquelle les TP devraient être moins chers pour qu’un report modal puisse s’opérer n’est pas nouvelle. Elle repose souvent sur des fortes convictions politiques. Ces convictions résistentelles néanmoins à l’expérience du terrain? Il est permis d’en douter.

En Europe, les collectivités ayant testé la gratuité (ou de fortes baisses des tarifs) n’ont guère constaté de décroissance du trafic lié aux TIM, en particulier dans les zones urbaines et périurbaines. En effet, les consommateurs opèrent généralement des choix basés sur plusieurs facteurs et non pas simplement sur la question du prix. En réalité, le choix d’un mode de transport dépend d’une équation complexe où la rapidité, la flexibilité, la fiabilité et le confort prennent souvent le pas sur les coûts.

En 2018, Dunkerque a été la première grande agglomération européenne à introduire la gratuité des TP. Or, le bilan y est contrasté. En effet, la mesure a été onéreuse, alors que le report modal est très modeste. La fréquentation des transports publics a certes augmenté, ce qui a nécessité de nouvelles dépenses. Toutefois, cette augmentation provient des usagers qui empruntent les TP sur des courtes distances, alors qu’ils les effectuaient auparavant à pied ou à vélo. L’effet d’aubaine n’agit donc pas sur la population souhaitée. L’exemple dunkerquois n’est pas isolé, il se répète dans les autres villes ayant fait le choix d’une gratuité totale ou partielle (voir tableau 1). Ces résultats interrogent quant à l’efficacité du report modal mais aussi, et surtout, à l’effet net en matière d’émissions CO2.

On voit mal comment le canton de Vaud échapperait à ces tendances. C’est d’autant plus vrai que les jeunes et les personnes âgées visés par les facilités tarifaires précitées consomment peu de TIM. On peut donc s’attendre à un effet quasi-nul sur le report modal.

En conclusion, il faut questionner l’efficacité de ces facilités tarifaires. En réalité, il semble surtout qu’elles s’apparentent essentiellement à des aides sociales, et non à des mesures écologiques. Comme le résumait récemment un chercheur: «Une mesure de politique publique ne peut pas être fondée sur de simples convictions. Elle se doit d’avoir une certaine efficacité et de ne pas gaspiller des fonds publics devenus rares, non pas dans une optique étroitement comptable, mais pour dégager les ressources nécessaires à une transition» (Héran, 2020).




Cenni Najy,
Responsable politique Mobilité, énergie, environnement

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